Gardons l'Oeil N°1 - Avril 2025
- Enquête
Contenu réservé aux adhérents de l'Institut pour les Savoir-Faire Français
Réforme de la Nomenclature d'activités française (NAF)
La révision des codes Naf, qui permettent de qualifier l’activité principale d’une entreprise, intervient cette année, après de nombreuses travaux auxquels l’Institut a collaboré. Ce changement s’opère dans le cadre d’un processus de révision aux niveaux mondial et européen, conduit entre 2019 et 2023, et visant notamment à harmoniser les nomenclatures, à intégrer les transitions écologique et numérique, la mobilité durable et les changements organisationnels et sociétaux.
Si la majorité de la nomenclature ne change qu’à la marge (modification des lettres et numéros des codes mais pas des intitulés), d’autres font leur apparition. Parmi les principaux changements, le code « Création artistique relevant des arts plastiques » (90.03A) est divisé en sous-classes : « Activités de création en arts visuels » (90.12Y) pour les graveurs notamment, et en « Conservation, restauration et autres activités de soutien pour la préservation du patrimoine culturel » (91.30Y) pour la conservation et la restauration d'œuvres d'art et d'objets de collections muséales. Ainsi, l’activité de restauration d'instruments de musique autrefois enregistrée sous l’appellation “Réparation d'autres biens personnels et domestiques” (95.29Z) intègre désormais le code spécifique « Conservation, restauration et autres activités de soutien pour la préservation du patrimoine culturel (91.30Y )».
Autre changement notable, la « Fabrication de sièges d'ameublement d'intérieur » (31.09A), auparavant finement identifiée, est répartie dans deux codes plus larges : « Fabrication de meubles à destination de professionnels » (31.00G) et « Fabrication d'autres meubles domestiques, de sommiers et de matelas » (31.00J).
Les diffuseurs sont également impactés : les activités autrefois référencées sous le code 90.04Z « Gestion de salles de spectacles », disposent désormais de deux codes distincts : « Gestion d’installations et de lieux de production et de diffusion des arts visuels » (90.31G) et « Gestion de salles de spectacle vivant » (90.31H).
Cette révision de la nomenclature n'a pas permis la création de codes plus précis, certains métiers d’art demeurent donc agrégés à des activités qui ne leur correspondent pas toujours : Stéphane Galerneau, fondeur d'art et président d’Ateliers d'art de France, rappelle ainsi que son entreprise est classée dans la même activité que celle d’Arcelor Mittal.
Le manque de finesse des codes NAF n'est cependant plus un frein pour mesurer le poids économique global des métiers d'art. En effet, l’étude Les Éclaireurs : mesurer le poids économique des métiers d'art et savoir-faire d'exception, publiée en novembre 2024 a mis en place une méthodologie ad hoc permettant d'exploiter les données de l'INSEE à partir des codes NAF existants.
N.B. La transition vers la nouvelle NAF est en cours (2025-2028), le changement de code sera réalisé par l'INSEE et effectif dès 2027. Les deux nomenclatures cohabiteront les premières années afin d'accompagner ce changement. Gardons l’œil !
Sources :
Vers une nouvelle nomenclature : la NAF 2025, INSEE (table de correspondance entre les deux versions de la NAF disponible depuis ce lien)
Tout savoir sur les nouveaux codes naf 2025, DECIDENTO, Nathan Gaudet, 14/01/2025
Une nouvelle NAF en 2025. Quels changements pour les métiers de la Facture instrumentale ?, CSFI, 01/03/2024
Le malaise des artisans d'art, La Gazette Bourgogne, 04/05/2025
Etude Les Eclaireurs, Institut pour les Savoir-Faire Français, Novembre 2024
Les métiers d’art dans l’EAC : une place à renforcer
À l’occasion de la publication d’un rapport de la Cour des Comptes sur l’éducation artistique et culturelle (EAC) dans l’enseignement scolaire, et de la nomination d’Emmanuel Ethis comme premier délégué interministériel à l’EAC le 12 mars dernier, il est opportun de s’interroger sur la place des métiers d’art dans ce dispositif structurant.
Un socle à trois piliers, huit domaines référencés
L’EAC repose sur trois piliers fondamentaux :
- L’acquisition de connaissances,
- La pratique artistique,
- La rencontre avec les œuvres et les artistes.
| Domaine | Exemples |
| Arts visuels et patrimoine | Sculpture, photographie, patrimoine bâti |
| Cinéma et audiovisuel | Visionnage, création de films |
| Culture scientifique et technique | Ateliers, musées, expérimentations |
| Histoire et mémoire | Commémorations, lieux de mémoire |
| Éducation aux médias | Ateliers de décryptage, analyse de l’info |
| Livre et lecture | Lectures publiques, rencontres d’auteurs |
| Musique | Chorales, concerts, ateliers |
| Spectacle vivant | Théâtre, danse, arts du cirque |
Une politique ambitieuse, mais encore inégale
Malgré un engagement budgétaire conséquent (3,5 milliards d’euros côté État, et 520 à 650 millions côté collectivités), la Cour des Comptes déplore une mise en œuvre parfois incomplète, éloignée des trois piliers fondateurs de l’EAC. Le rapport souligne également un manque de pilotage transversal, de synergies et d’évaluation qualitative.
Les métiers d’art, une contribution sous-estimée
Même s’ils ne sont pas encore formellement identifiés comme un champ spécifique de l’EAC, les métiers d’art ont toute légitimité à y contribuer, comme le montrent certaines initiatives comme le programme "La classe, l’œuvre !" 2025 de la région académique Bourgogne-Franche-Comté. Dans le cadre de ce programme, les élèves étaient amenés à découvrir les domaines des arts plastiques, décoratifs et appliqués : dessin, sculpture, taille de pierre, création de bijoux ou de costumes. Au même titre que les artistes – dont les résidences sont très appréciées par les enseignants – les professionnels des métiers d’art pourraient intervenir en milieu scolaire sur le long terme, en mobilisant les trois dimensions de l’EAC. Cette meilleure intégration serait d’autant plus intéressante que les métiers d’art introduisent une dimension socio-économique et professionnelle valorisante pour les jeunes.
Une initiative de formation portée par l’Institut
Une meilleure intégration des métiers d’art dans l’EAC passe tout d’abord par un travail de sensibilisation et de formation des enseignants, comme l’indique la Cour des Comptes qui recommande le renforcement de la formation continue des enseignants. Cette orientation rejoint une initiative à laquelle participe l’Institut pour les Savoir-Faire Français, en partenariat avec le Campus des métiers d’art et du design.
Ensemble, ces acteurs portent un programme de formation, destiné aux enseignants, conseillers d’orientation et personnels de l’Éducation nationale, prévu jusqu’à 2029 et qui comprend :
- Un module théorique sur les métiers d’art,
- Une visite guidée d’un atelier métiers d’art,
- Un atelier pratique autour d’un savoir-faire des métiers d’art
Un comité jeunesse en appui à la transmission
Plus largement, afin de nourrir les réflexions sur la sensibilisation des jeunes aux métiers d’art, et faire grandir les pratiques de médiation dans le secteur, l’Institut - avec le soutien du ministère de la Culture - a mis en place en juillet 2024 un comité jeunesse. Composé d’acteurs de la culture, de l’éducation et des métiers d’art, ce groupe travaille dans une logique d’intelligence collective.
Ses travaux donneront lieu à un livre blanc, attendu fin 2025, qui présentera :
- Des exemples de bonnes pratiques de médiation et de transmission,
- Des recommandations concrètes,
- Des pistes pour enrichir les projets EAC liés aux métiers d’art.
Une opportunité à saisir
La nomination d’un délégué interministériel et la publication à venir de ce livre blanc ouvrent la voie à une intégration plus visible et structurée des métiers d’art dans l’EAC. Il s’agit d’un levier pour donner à cette politique culturelle une traduction concrète, sensible et professionnelle, au bénéfice des élèves comme des artisans.
Sources :
L’éducation artistique et culturelle dans l’enseignement scolaire, rapport d’évaluation, Cour des Comptes, janvier 2025
https://draeac.region-academique-bourgogne-franche-comte.fr/la-classe-loeuvre/
Comprendre le nouveau contexte technologique de l'artisanat d’art
Dans le cadre du projet « Crafting », une étude a été commandée par l'Alliance européenne de l'artisanat, cofinancée par Europe Créative. Mise en œuvre par la société de conseil Ohayō entre septembre 2023 et avril 2024, elle couvre 7 pays référence : Belgique, Finlande, Hongrie, Norvège, Pays-Bas, République d’Irlande et Espagne.
Après avoir dressé le constat que les technologies numériques transforment profondément le secteur de l'artisanat en Europe, l’étude met en avant trois piliers technologiques :
L’écosystème numérique avec des interfaces accessibles, la réalité augmentée, et les environnements 3D, qui facilitent une adoption plus intuitive pour les artisans,
Les langages programmatiques et IA, qui exigent de nouvelles compétences,
Les technologies de fabrication comme CNC (Computer Numerical Control, ou Commande Numérique par Ordinateur), l’impression 3D, et la découpe laser, qui repoussent les limites du design artisanal tout en conservant l'identité du processus.
L’enquête quantitative révèle des données intéressantes quant à l’adoption et la posture des professionnels vis-à-vis de ces technologies. Ainsi :
- 69,70 % des artisans interrogés ont intégré des outils numériques pour la conception ou la fabrication,
- 76.74% estiment que ces outils rendent leurs produits plus compétitifs,
- 44,44 % jugent que l'intégration des technologies a un impact significatif sur la qualité de leurs produits.
Parmi les outils les plus utilisés, figurent le CAD (Computer-Aided Design, ou Conception Assistée par Ordinateur, 51,16 %), l'impression 3D (41,86 %) et la découpe laser (37,21 %).
Enfin, les domaines où la technologie apporte le plus de progrès incluent le design (66.67%), le prototypage (53.97%) et l'utilisation de nouveaux matériaux (50.79%).
Cette étude n’en élude pas pour autant les barrières à l’adoption de ces nouvelles technologies, notamment le coût, le manque de formation et la méfiance envers les nouvelles technologies. Sur ce dernier point, elle en détaille les ressorts : crainte d’une perte de l’unicité et d’une dépersonnalisation des produits, fort attachement au patrimoine et volonté de privilégier des techniques et pratiques traditionnelles, appréhension liée à une perte de contrôle sur le processus de production et volonté de conserver l’expérience et le contact direct avec la matière, préoccupations éthiques et environnementales.
Enfin, le rapport met en exergue l’apparition de nouveaux profils d'artistes, tels que le bio-artisan (professionnel qui comprend la manipulation des matériaux vivants et réactifs comme une pratique artistique basée sur la recherche et le dialogue avec la matière, et non sur son contrôle) et le shokunin (maître artisan, sur le modèle de la tradition japonaise), qui émergent dans le cadre d’"arts liés aux matériaux". La création de matériaux est proposée comme une nouvelle discipline artisanale.
Six recommandations clôturent l’étude :
1. Elargir les frontières de l’artisanat pour déstigmatiser l’utilisation du numérique par l’artisan et aller d'une société de consommation à une société créative et connectée.
2. Former les artisans au numérique pour apprendre les langages des nouvelles technologies. Promouvoir le mentorat pour surmonter les obstacles.
3. Développer un modèle mixte de type Fab Lab, où l’artisanat traditionnel et les créateurs plus spécialisés numériquement peuvent converger, pourrait servir à faciliter la collaboration.
4. Favoriser l’accessibilité des artisans aux informations sur les nouveaux matériaux.
5. Tester les systèmes de certification basés sur la technologie blockchain pour prévenir la contrefaçon et protéger l’artisanat de qualité.
6. Utiliser les technologies de conception et de fabrication numériques pour sauvegarder le savoir-faire traditionnel : numérisation des métiers d’art menacés et même en réalisation de reproductions physiques à titre d’étude de catalogage des métiers d’art de grande valeur et/ou en voie de disparition.
En écho à cette publication, signalons la parution du manifeste Craft Tech par Lisa Millet (Histoires d’Artisans) qui plaide pour “une approche entrepreneuriale” visant à rassembler des profils “tech” pour développer des outils pour l’ensemble de l’écosystème des artisans d’art.
Méthodologie : 5 phases
- Etat de l’art sur le secteur de l’artisanat en Europe
- Enquête auprès des artisans résidant dans les pays de référence
- Entretiens individuels qualitatifs et réunions de groupe avec des professionnels
- Recherche de tendances et étude de cas
- Analyse SWOT
Profils des 66 répondants :
70,49 % d’artisanes, 26,23 % d’hommes et 3,28 s’identifiant comme non binaires.
31,15 % avaient entre 56 et 70 ans, 29,51 % entre 46 et 55 ans, 36,23 % entre 36 et 45 ans, 11,48 % entre 20 et 35 ans et 1,64 % entre 71 et 80 ans.
39,34 % se considèrent comme un fabricant professionnel établi, 27,87 % comme un maître artisan, 18,03 % comme un fabricant professionnel en début de carrière, 11,48 % comme un fabricant émergent et 3,28 % comme une industrie artisanale.
Source :
Comprendre le nouveau contexte technologique de l'artisanat – Une étude sur l'intégration des technologies de conception et de fabrication numériques dans le secteur de l'artisanat européen, 30 mars 2025. Résumé du rapport. Rapport complet .
N.B. Il s'agit du quatrième volet d'une série de cinq projets de recherche à retrouver ici.